ELEMENTS DE DISCOURS JRES-2005

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Mesdames et Messieurs

Je profite de cette occasion de faire la dernière intervention de cette semaine de JRES-2005 à Marseille pour vous resituer l’action des réseaux pour l’éducation et la recherche dans un contexte global qui est l’Europe et le monde. Mon propos sera donc les infrastructures de recherche, et parmi elles les réseaux de communication et les infrastructures de traitement des données, les actions auxquelles participe RENATER dans le cadre du projet GEANT/GEANT2, le redéploiement de RENATER dans sa quatrième configuration et les nouveaux services qui seront possibles. Je complèterai mon intervention par une vision plus prospective de RENATER au niveau national, en interaction avec les politiques du gouvernement et des collectivités locales, pour vous transmettre quelques idées ou réflexions qui ne pourront se traduire par des réalités que dans le cadre de collaborations renforcées entre tous les acteurs que vous êtes ou représentez.

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Infrastructures de recherche

Lors de la Présidence française de l’Union Européenne, une conférence sur les infrastructures de recherche a été organisée à Strasbourg, suite à une proposition du Commissaire Européen Philippe Busquin, pour doter l’Union d’une cohérence nécessaire dans ses actions pour construire l’Espace Européen de la Recherche et de l’Education. A la suite de cette conférence, un groupe de travail a été mis en place par les Etats Membres et la Commission Européenne pour proposer une méthode de vision partagée des investissements nécessaires et des priorités scientifiques en termes d’infrastructures de recherche. La proposition de ce groupe a été la création d’un Forum de discussion stratégique, appelé ESFRI (« European Strategy Forum for Research Infrastructures »). Ce Forum se réunit 3 ou 4 fois par an pour évaluer la pertinence, la nécessité et la cohérence des infrastructures qui requièrent des investissements importants au niveau pan-européen. Il débat de sujets aussi variés que par exemple les outils pour la recherche océanographique, les sources de rayonnement (neutrons, synchrotrons, lasers, etc…), les banques de données pour les SHS, les outils pour le calcul intensif et les réseaux de communication. Les informations sur ESFRI sont disponibles sur www.cordis.lu/esfri/.

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En parallèle à cette démarche de réflexion stratégique menée au niveau des grands instruments scientifiques, la direction générale de la Commission Européenne, responsable du développement de la Société de l’Information (DG-INFSO) a souhaité se doter également d’un outil de prospective pour accompagner le développement des projets mis en place au sein des programmes-cadres de R&D pour doter l’Europe d’une « e-Infrastructure ». La traduction littérale de l’autre coté de l’Atlantique en est « cyber-infrastructure ». Il vous reste à apprécier si le préfixe e- doit être pris pour électronique, Europe ou toute autre interprétation à votre idée. L’initiative de la DG-INFSO s’est traduite par la mise en place d’un groupe de réflexion (tout aussi stratégique que ESFRI ?), appelé e-IRG (« e-Infrastructure Reflection Group ») en charge plus particulièrement des infrastructures électroniques, c’est-à-dire les moyens de calcul, les grilles, les plateformes de stockage, ainsi que tous les services associés comme la sécurité, les annuaires, etc…

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Cette duplication d’efforts est très utile car les infrastructures électroniques ont beaucoup de mal à être reconnues à leur juste importance par les communautés de physique, d’astronomie, de sciences de la vie. Leur définition technique doit néanmoins être pensée collectivement, et pas seulement par les équipes en charge de leur implémentation. Les utilisateurs doivent également avoir la possibilité d’influencer l’avenir. De même, l’e-Infrastructure doit nécessairement prendre en compte l’ensemble des besoins de toutes les communautés. Son intégration dans le monde plus large des infrastructures de recherche vues par ESFRI, est donc également nécessaire. Pour compléter le panorama, les modalités de dialogue entre ESFRI et eIRG ont été définies de façon à garantir l’efficacité du processus global de réflexion et de planification.

GEANT

Quelques chiffres maintenant pour vous illustrer le rôle de la politique européenne dans nos activités. La contribution de l’Europe pour le réseau GEANT (2002-2005) a été de 80 M€, pour une durée de 4 années. Cette participation correspondait à environ 40% du coût complet du réseau d’interconnexion, qui était de l’ordre de 200 M€. Ce financement a été inscrit dans le 5ème PCRD, dans le cadre d’une action thématique du programme IST. Dans le 6ème PCRD, une première ligne budgétaire de l’ordre de 460 M€ a été affectée aux infrastructures de recherche. Les projets Réseaux + Grilles ont mobilisé 200 M€, dont 93 M€ ont été affectés à GEANT-2, qui est aujourd’hui en cours de déploiement. Comme pour GEANT, la contribution des Etats Membres est supérieure à 50%, ce qui se traduit à nouveau par un coût global de l’ordre de 200 M€ (2006-2008). La différence entre GEANT et GEANT-2, qui est illustrée sur les slides que je vais vous montrer tient d’une part dans les nouveaux services mis à la disposition des utilisateurs, l’augmentation de capacité et la couverture globale du réseau à l’échelle de la planète.

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Je complèterai la présentation de GEANT et des actions européennes par deux points singuliers qui méritent d’être mentionnés :

Aspect financier d’abord : J’ai mentionné les chiffres correspondant aux financements de GEANT. Impressionnants pour certains, anecdotiques comparés à ceux d’une grande installation de physique fondamentale pour d’autres. La réalité est néanmoins différente. J’ai essayé d’estimer le coût réel d’interconnexion entre deux universités ou centres de recherche en Europe. Ce coût correspond bien sûr à GEANT mais aussi aux coûts cumulés des réseaux nationaux (NRENs), des réseaux régionaux et des réseaux de campus (ou parfois métropolitains). Les ordres de grandeur sont alors différents et la clé de répartition est plutôt du type 1 :10 :100.
• 1 pour le backbone européen (et ses extensions internationales)
• 10 pour le coût agrégé des réseaux nationaux (+30 NREN en Europe)
• 100 pour la somme des réseaux régionaux et de campus.

Vous voyez ainsi que l’argent de l’Union Européenne ne compte plus alors que pour 0.5% du coût total ! Alors pourquoi tant d’intérêt pour GEANT ? La réponse est simple : L’Union Européenne apporte la cohérence entre toutes les démarches nationales. Elle permet la construction d’une infrastructure homogène sur l’ensemble de la communauté. Elle participe à une vision politique de la construction européenne : l’Espace Européen de la Recherche et de l’Education. Elle permet également une participation effective à la compétition internationale dans le monde des télécoms : GEANT et ses NREN associés sont reconnus aujourd’hui comme le réseau recherche le plus avancé au monde, tant par sa technologie que par sa capacité d’organisation commune à autant de partenaires différents.

Second point particulier : la réduction des coûts : L’empreinte de GEANT est faite aujourd’hui d’une infrastructure de FON qui est activée par DANTE. Une petite partie de l’infrastructure pan-européenne repose encore sur des circuits loués aux opérateurs de télécommunications (WDM, SDH, PDH). Cette combinaison correspond à la situation suivante : 25% de la capacité du réseau mobilise 75% du budget, ce qui revient à dire également que 25% du budget fournit 75% de la capacité ! Cette capacité de FON correspond aujourd’hui à des liaisons interconnectant les pays entre eux, c’est-à-dire de capitale à capitale (Paris-Londres par exemple). Supposez maintenant qu’au lieu de payer une liaison FON entre Paris et Francfort, il suffise de payer un lien optique entre Strasbourg et Kiehl, le reste étant pris en charge par les NREN (RENATER et DFN). L’équation financière change complètement, pourvu que l’on soit capable d’harmoniser également les politiques de transit dans les NRENs. Est-ce que RENATER est prêt à mettre à disposition n x lambdas pour transporter le trafic recherche entre l’Allemagne (DFN) et l’Angleterre (JANET) ? C’est une question à laquelle nous travaillons aujourd’hui, en même temps que nous développons les initiatives d’infrastructures transfrontalières partout ou cela est possible (CBF : Cross Border Fibres).

Supercomputing, GRIDs

Revenons maintenant sur les services. Les premiers bénéficiaires de ces nouveaux services développés et déployés collectivement par GEANT et l’ensemble des NREN européens (en partenariat avec Internet2) sont quelques grands projets de couverture étendue et qui justifient l’allocation de ressources spécifiques qui ne peuvent pas être fournies par les infrastructures IP conventionnelles. Parmi eux, je citerais DEISA, LCG/LHC, vLBI ainsi que beaucoup d’autres qui émergent en particulier de la recherche dans les technologies de l’information.

DEISA est un projet d’interconnexion des principaux super-calculateurs européens de façon à en faire une ressource globale, permettant de traiter des problèmes scientifiques hors de portée des ressources nationales existantes, en libérant une machine de sa charge pour l’allouer à la résolution d’un problème unique. Au-delà des problèmes d’exploitation des files de traitement/d’attente des tâches de calcul, vous avez compris que la difficulté principale est la globalisation des données des utilisateurs, pour les maintenir disponibles à tous les utilisateurs, où qu’ils soient et où que soient leur machine de traitement. Les slides montrent comment GEANT prévoit de répondre à ce type de demande, en affectant un réseau optique dédié et redondant entre tous les nœuds participants.

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Cette infrastructure affectée à DEISA migrera par la suite pour devenir un ensemble distribué supportant le cœur des ressources HPC européennes qui a pour ambition de déployer avant la fin de la décennie un ensemble fournissant plus d’un pétaflops pour les besoins extrêmes de la simulation numérique. Ce sujet est déjà en cours de réflexion au sein de l’ESFRI !

Une approche analogue est poursuivie pour répondre aux autres projets. LCG sera équipé d’un réseau optique dédié fait de liens à 10 Gb/s pour relier au CERN (centre Tier-0), tous les centres Tier-1 du projet, situés en Europe (cc-IN2P3 pour la France). En plus de ce service primaire, tous les centres Tier-1 disposeront d’une capacité de 10 Gb/s pour s’interconnecter entre eux (réseau secondaire), via le CERN, via GEANT ou via des liaisons transfrontalières en cours de déploiement dans le cadre d’accord bi-nationaux. Le schéma déployé par GEANT correspondra donc à une capacité d’environ 100 Gb/s mise à la disposition du CERN avant même que les expériences du LHC aient commencé à produire des résultats ! On est très loin des craintes de la communauté Physique des Hautes Energies qui ne pensait pas que les réseaux recherche pourraient jamais satisfaire leurs besoins colossaux.

D’autres exemples analogues sont disponibles, comme par exemple pour la radio-astronomie avec le projet vLBI, où la mise en réseau des antennes d’interféromètres (des télescopes plutôt !) a permis de faire une astronomie différente parce que « quasi » en temps réel entre l’observation et l’analyse. C’est la situation actuelle pour le projet JIVE qui ramène les images de 7 télescopes européens sur un corrélateur unique situé en Hollande. Les réseaux ne sont pas encore compétitifs en volume par rapport au transport physique, mais ils ouvrent la voie du temps réel !

RENATER 4

Venons maintenant à des préoccupations plus nationales. Je ne doute pas que durant la semaine qui vient de s’écouler, vous n’ayez entendu parler de RENATER-4, qui est en cours de déploiement. Cette quatrième version du réseau se décline en deux composantes complémentaires. La première, que je qualifierais de réseau IP, est d’abord un renforcement du réseau RENATER-3, que vous subissez (ou dont vous profitez, selon les points de vue) depuis 2002. Le descriptif est rapide : IP/WDM, 2.5 Gb/s, dual-stack IPv4/v6, multicast, MPLS etc… Tous les NR sont doublement connectés (Pau en cours de réalisation, Corte à venir en fonction des offres).

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Une difficulté : Difficile de passer à une infrastructure à 10 Gb/s à un coût acceptable pour la mise à niveau des routeurs. Le complément est donc une infrastructure basée sur de la FON, activée par des équipements WDM mis en œuvre par RENATER, et activée par un ensemble de commutateurs fournissant seulement un service de transport de niveau 2 (Ethernet). Le monde du 10 Gb/s (et bientôt du 40 Gb/s) est accessible et mis à disposition de façon ciblée, pour les utilisations qui le justifient. La fourniture de la couche IP (routage) n’est plus assurée par des routeurs distribués sur tous les nœuds, mais par un équipement centralisé (un tera-routeur) situé au cœur du réseau. C’est ce réseau complémentaire qui permet l’allocation de segments optiques aux projets cités précédemment (DEISA, LCG, vLBI etc…) mais également aux projets nationaux (GRID’5000).

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On est néanmoins au milieu d’une phase de transition aujourd’hui : l’état du marché des télécoms en France ne permet pas encore une couverture complète du territoire avec de la FON. La prochaine phase devrait voir la substitution complète du réseau routé par le réseau commuté, sachant que le premier n’occupera qu’une partie marginale (en termes de bande passante) de l’infrastructure FON !

Politiques régionales

Quelques mots maintenant sur la complémentarité de RENATER avec les politiques régionales. Depuis 1998, RENATER s’est efforcé de restituer aux collectivités locales une plus grande capacité de pilotage des réseaux régionaux. Cela s’est fait de façon progressive en promouvant la nécessité d’effectuer une métrologie fine sur toutes les infrastructures de collecte, en suggérant l’ouverture des réseaux régionaux à d’autres opérateurs longue distance (FAI) pour la prise en charge des sites non-agréés par RENATER, et même en amorçant une politique de raccordements directs de sites sur les NR, de façon à décharger les réseaux régionaux de trafics de transit. La situation a évolué dans ce sens à un rythme trop faible, et les technologies et capacités des réseaux régionaux sont restées en décalage par rapport au backbone national. Cela se traduit évidemment par au service complètement dégradé, mis à la disposition des utilisateurs finaux. Pour mémoire, le service ATM de RENATER-2 n’a jamais été prolongé dans aucun réseau de collecte. C’est encore le cas aujourd’hui du service VPN/MPLS ou des classes de service. L’avenir des réseaux de communication n’est pas d’être les plus beaux ou les plus performants possible, mais d’apporter aux utilisateurs, les meilleurs services possibles. Cette notion de service de bout en bout, qui est un leitmotiv de la politique européenne, est également partie intégrante de la démarche de RENATER. Elle a justifié en partie les initiatives de raccordement direct. Elle justifiera aujourd’hui et demain, des partenariats plus renforcés avec les collectivités locales pour assurer la continuité des services, ou le traitement en direct des liaisons avec les utilisateurs les plus exigeants. Plusieurs voies sont à l’étude aujourd’hui : renforcement des capacités de raccordement sur les NR existants, augmentation des points de présence en région, déploiement d’infrastructures régionales par RENATER, etc… la motivation première reste de fournir un service de qualité homogène à tous les utilisateurs, indépendamment de leur localisation géographique au sein du dispositif national d’enseignement supérieur et de recherche.

Depuis un an, la législation des télécommunications a bien changé : lois sur l’économie numérique, code des collectivités territoriales, code des marchés publics, etc… Un nouveau modèle est actuellement au cœur des réflexions des collectivités territoriales : les RIP. Dans ce modèle, les collectivités déploient de l’infrastructure fibre, par le biais d’une délégation de service public (DSP). Il revient alors au délégataire de mettre à la disposition des opérateurs (ou FAI) cette infrastructure (opérateur d’opérateurs). Ce modèle est attirant dans la mesure où il offre une alternative aux infrastructures de l’opérateur historique dans deux nombreuses zones délaissées. Le bénéfice de ces réseaux reste néanmoins à démontrer pour les réseaux recherche. En effet, au-delà du seuil des marchés publics, il n’est pas possible de faire aucune acquisition sans passer par des procédures d’appel d’offres auxquelles les délégataires ne sont pas tenus de répondre. Dans le cas favorable où un délégataire répond à un appel d’offres, il n’est pas tenu de proposer de la fibre optique, et peut très bien ne proposer que de la bande passante (cela doit être prévu dans le cahier des charges de la DSP). Pour terminer, les infrastructures de DSP sont payées pour tout ou partie par l’argent public, via l’investissement de la collectivité locale qui en assure la maîtrise d’ouvrage. Acheter un droit d’usage de cette infrastructure pour la communauté éducation et recherche, revient à la payer une seconde fois avec l’argent public. L’analyse est sans doute un peu grossière et peut être raffinée au cas par cas, mais il reste quand mêmc choquant d’entendre des critiques envers les réseaux régionaux pour la recherche, qui sont alors « coupables » de défavoriser le développement des RIP.

Futur

Je terminerai mon propos en rappelant quelques principes qui doivent mener l’action future pour les réseaux pour la recherche et l’éducation en France.
1. Identification de la communauté d’utilisateurs. Le lien commun est la conformité des usages à la Charte RENATER, sous sa forme initiale ou ses formes déclinées au sein des organismes, ou par l’administration centrale.
2. Maintenir la spécificité des infrastructures et des services, qui assurent la distinction par rapport aux offres commerciales. La stratégie des opérateurs de télécommunications est de plus en plus orientée vers les marchés de masse, et la priorité donnée aux capacités et services extrêmes sera sans doute de plus en plus facile à justifier.
3. Déployer des infrastructures en optimisant les coûts pour fournir à la communauté les services dont elle a besoin avec des budgets maîtrisés. Ces services doivent être développés et validés de concert avec les utilisateurs. Une ambition simple doit être que les limites du réseau ne doivent pas être atteintes par les utilisateurs qui doivent pouvoir travailler librement.

Pour terminer, il me reste à remercier l’ensemble de l’organisation de cette conférence qui a fait preuve d’un très grand professionnalisme allié à une efficacité à toute épreuve. Merci à tous, organisateurs et participants.

Je vous remercie pour votre attention.